En addition aux chiffres avancés par Demoustier, Martinet en rendant compte des chiffres du groupement national de la coopérative, GNC, rappelle que le secteur coopératif (secteur de premier ordre) compte en 2007 près de 21 000 coopératives en France et 288 000 coopératives en Europe.
Présentes dans tous les domaines de l’économie (agriculture, pêche, commerce, éducation, immobilier, services, transport, banque et finance) et occupent 2,3 millions de personnes.
Martinet présente assez pertinemment les choses par ses mots : « Qu’y a-t-il de commun entre le Crédit agricole, les opticiens Krys et le Groupe Chèque Déjeuner ? Toutes ces entreprises appartiennent à un secteur peu connu du public, le secteur coopératif. »
Nous avons déjà noté que les coopératives étaient inséparables de l’histoire du mouvement ouvrier, nous avons également évoqué l’historique des premières coopératives de salariés en France, au Royaume-Uni, et dans le reste de l’Europe dans les années 1830-1850. Les coopératives qui se développent dans la période des révolutions et transitions industrielles de l’époque voit la formation d’associations ouvrières de production, véritables petites communautés dont le but est de contrer les risques économiques et sociaux engendrés par l’essor industriel. Les sociétés coopératives actuelles sont les héritières de ce mouvement de résistance contre la mainmise du capital sur l’entreprise. Leur fonctionnement, leur mode de gestion et de gouvernance, leurs objectifs s’écartent du modèle des entreprises dites capitalistes. Si l’entreprise capitaliste cherche à ‘enrichir ses actionnaires’, la démarche coopérative tend a contrario à développer le fonctionnement de l’activité. Elle cherchera alors à faire bénéficier à ses membres appelés sociétaires de la meilleure qualité de services et de produits au meilleur prix. Il existe différents types de coopératives[1]. Une coopérative est donc une entreprise construite par l’agrégation volontaire des diverses forces productives, et sur la répartition équitable des résultats de la production. Au-delà de la démarche économique, ce qui nous intéresse, c’est le principe de coopération basé sur une participation volontaire, une répartition équitable et une organisation démocratique.
D’ailleurs, Demoustier, 2001 explique que les coopératives sont des sociétés dont les objets essentiels sont : - de réduire, au bénéfice de leurs membres et par l’effort de ceux-ci, le prix de revient et, le cas échéant, le prix de vente de certains produits ou de certains services en assurant les fonctions des entrepreneurs ou intermédiaires dont la rémunération grèverait ce prix de revient.
- d’améliorer la qualité marchande des produits fournis à leurs membres ou de ceux produits par ces derniers et livrés aux consommateurs » (loi de 1947)
Les coopératives peuvent être distinguées selon l’identité des membres - sociétaires et la nature de leur activité. Auparavant l’histoire aura prouvé cette assertion. En effet, il existe des coopératives d’usagers dans la consommation et le crédit ; des coopératives de salariés (SCOP) ; des coopératives d’entrepreneurs individuels dans l’agriculture, le commerce de détail, l’artisanat, le transport routier ou la pêche ; des coopératives partenariales avec les unions d’économie sociale (UES) dans la recherche, le logement très social…
Ces statuts (et types) variés de coopératives équivalent à une diversité de sources juridiques.
Dans bien des cas, les fonctions de crédit, d’approvisionnement, de transformation et de distribution des coopératives nécessitent la mobilisation d’un capital. En l’occurrence, ces coopératives ont une forme juridique de sociétés de capitaux (SARL, SA) à la différence que les propriétaires du capital social sont connus nominativement malgré un statut de société anonyme. De même, les statuts prévoient un certain nombre de règles qui interdisent de les confondre avec des SARL ou des SA lucratives.
La question du lien social de coopération : entre collectif volontaire et collectif contraint.
Dans une autre analyse des coopératives, de travail, dans ce cas présent, Laville émet l’hypothèse qu’au cours des années 1970-1980 deux vagues de création de coopératives ont marqué cette période de renouveau des coopératives. La première par des collectifs volontaires, des groupes fusionnels où les membres affirment leur appartenance commune au même métier. La deuxième par des collectifs contraints, des groupes clivés où la pluralité des appartenances et identités socioprofessionnelles créent des divergences (Laville, 1994, p3). Les collectifs volontaires et fusionnels fonctionnent selon une implication, certes pas égalitaire, mais selon une responsabilisation qui s’individualise au sein d’un collectif et où les droits et devoirs sont identiques. A contrario, des promoteurs de projet coopératif rassemblent des individus selon leur apport au projet et leurs compétences ; c’est en cela que le collectif est contraint et clivé.
Les collectifs volontaires
En ce qui concerne le premier groupe, le volontarisme naît dans le sillage de mai 1968. Des entreprises alternatives tentent de nouvelles expériences économiques et s’inscrivent dans la même lignée idéologique que d’autres groupes, écologistes ou même féministes. Ces expériences alternatives se concrétisent d’un point de vue économique sur les lieux de production et d’un point de vue citoyen dans une plus grande participation des individus. Ces démarches s’opposent à la forte centralisation qui rythmait les décisions politiques et économiques. Du fait du taux d’échecs, certaines coopératives se sont muées sous la forme d’entreprise. Elles tendaient alors vers une plus grande responsabilisation de leurs membres au sein d’unités insérées dans une logique marchande. Cette responsabilisation entraînant alors un contrôle et de l’auto-organisation plus efficace au niveau de la gestion, et la décentralisation au niveau de la prise de décision. D’ailleurs, les lieux de décisions et de représentations varient selon les enjeux : les Assemblées générales servant à l’information mutuelle et la coordination alors que le conseil d’administration est l’organe de gestion et de contrôle des règles.
Dans le cas d’un collectif volontaire, le regroupement se fait sur la base d’un enthousiasme coopératif, où prime la cohésion plutôt que la démarche entrepreneuriale, la production plutôt que le formalisme juridique. A ce stade, les embauches sont fonction du chiffre d’affaire et du développement de l’activité. La très forte disponibilité des collaborateurs et un financement personnel engagé permet de maintenir l’outil de travail. La proximité et les relations interpersonnelles favorisent la circulation de l’information et la formation interpersonnelle. Le tutorat et la formation sur le tas par apprentissage mutuel sont employés pour favoriser les intégrations progressives. La solidarité se matérialise par une égalité au niveau des salaires et des droits, et une absence de hiérarchie. La démocratie directe est répandue dans les réunions générales formelles et autres lieux de collaboration, et engage les prises de décisions d’investissement, d’embauche, ou autre décision commerciale, etc. (Laville, 1994).
Ce fonctionnement demande un certain nombre de compromis, mais la pratique de la démocratie et l’égalitarisme dans les prises de décisions confèrent à l’entreprise une bonne image sérieuse, une intervention rapide, et une cohésion dans la production du bien ou du service. Néanmoins, Laville rappelle que des décisions peuvent être différenciées, notamment dans la fonction commerciale. Si elle n’est pas professionnalisée, celle-ci peut révéler des disparités culturelles au niveau de la pratique et des compétences dans le domaine. L’idéologie unificatrice et la très grande polyvalence ne peuvent faire abstraction de ces questions, notamment entre la partie commerciale et la partie productive. Les collectifs volontaires conjuguent une fragilité économique et une dynamique de la mise en mouvement d’acteurs liées à la dimension expérimentale de leur entreprise. Ils compensent un investissement financier initial et une sous-estimation du commercial par leur mobilisation. L’acquisition d’un marché permanent et l’emploi de tous les créateurs reposent sur un ensemble d’éléments qui les distingue des entreprises traditionnelles :
Les relations préalables avec les commanditaires ; les habitudes de travail en commun réduisent la durée d’apprentissage ; la capacité d’adaptation des salariés accroît la flexibilité financière et en temps de travail, de l’outil de production.
Afin d’assurer la pérennité de l’entreprise coopérative et afin de sécuriser l’emploi et les conditions de travail du groupe, une structuration permet de pallier aux incertitudes économiques, techniques et humaines. Ce processus de structuration fait le lien entre une cohérence économique durable et les « possibilités » des coopérateurs, mais de fait, impose un recentrage sur les contraintes de la forme d’entreprise et les modes de représentation démocratiques. Le partage des responsabilités s’effectue en parallèle des différentes fonctions coopératives et est marqué par une dissociation du Conseil d’administration et de l’Assemblée générale : la démocratie représentative. Cette institutionnalisation prouve que malgré les motivations initiales, il faut sortir de « la gestion de l’affectivité » (Laville, 1994, p 12). Cette transformation de la démocratie représentative permet une distanciation et un recentrage sur l’activité et l’outil de travail. Le rejet d’une proposition n’est plus autant assimilé au rejet de l’individu qui la propose. Les instances coopératives n’ont alors comme mission que la protection du groupe productif.
Les collectifs contraints.
Ce sont les restructurations économiques et le chômage qui contraignent certains individus à se regrouper dans des tentatives de reprise d’entreprise. Les tentatives de reprise concernent beaucoup plus souvent les entreprises du secteur secondaire, et les industries de main-d’œuvre, en perte de vitesse ou qui sont restructurées à cause de modifications radicales de conjoncture, de changements techniques, etc. (Laville, 1994, p20). Ces reprises ne sont en rien l’unique affaire d’entreprises moribondes. Les marchés présentent des imperfections et les coûts de transaction, associés à l’achat d’entreprise, sont souvent élevés (Willamson, 1975). Laville précise que l’absence de repreneur ne signifie pas absence de rentabilité. De même, dans certains cas, l’entreprise s’écroule alors que certaines unités productives sont très rentables, ou encore dans d’autres cas, la mauvaise gestion flagrante aurait pu être évitée, d’autant plus quand l’avenir et les potentialités commerciales sont toujours assurés. Face à ces aléas et risques, deux stratégies sont courantes : la stratégie de sauvetage et la stratégie de renaissance. La première est la plus répandue. Il s’agit d’un accord où les administrateurs et les patrons décident d’un transfert des biens et des activités de l’entreprise aux travailleurs de façon qu’il n’y ait aucune rupture, dans la production et dans la commercialisation. Cette stratégie précise Laville, permet la continuité dans l’emploi et le maintien de carnet de commande. La seconde stratégie est marquée par une rupture claire dans la production et dans la commercialisation. Le cas échéant, la reprise sans interruption est impossible. Les repreneurs sont souvent un groupe d’employés qui essaie d’acheter certains biens de l’entreprise auprès d’un liquidateur ou un administrateur.
Nous l’avons suffisamment souligné la variété de types de coopératives n’a d’égal que la variété de sources juridiques, dont quatre types se distinguent:
La loi du 10 septembre 1947 n°47-1775, qui sera modifiée par la loi du 13juillet 1992 n°92-643 relative à la modernisation des entreprises coopératives. Dans ce texte, il y est bien sûr précisé les fondements, la vocation, et l’objet des sociétés coopératives : favoriser les conditions de travail, production, consommation, etc. des sociétaires. Cette amélioration des conditions passe alors par le prix de revient bas, l’amélioration de la qualité marchande des produits, la promotion des activités économiques et sociales, et même l’assistance face aux risques.
Le deuxième corps de règles de loi permet aussi de distinguer et régir les coopératives de consommateurs, de construction et d’habitation, de production, d’entrepreneurs, de main d’œuvre, etc.
La troisième source est un ensemble de dispositions du droit commun des sociétés, car les coopératives précise Jeantet (2006, p. 50) ont la nature de société civile ou commerciale. Et l’auteur de rajouter que de fait la loi n’avait pas statué sur la forme juridique que doivent adopter les coopératives. En l’occurrence, une société coopérative peut alors être soit civile, soit commerciale, soit à capital fixe, soit à capital variable.
Bien sûr, il existe des cas comme les Sociétés coopératives ouvrières de production dont le statut est règlementé. Par exemple, une SCOP, mais également les coopératives artisanales, maritimes ou de transport[2] sont des sociétés à capital variable constituées en SA ou SARL.
Mais, le législateur a hiérarchisé les normes et l’articulation des lois de telle façon que les coopératives sont régies par le statut général sous réserve des lois particulières à chaque catégorie d’entre elles.
Hormis les règles législatives, la coopérative s’organise autour de grands principes dont :
Le principe de la double qualité (ou double appartenance). Le membre sociétaire d’une coopérative est à la fois usager et associé. Le sociétaire est le bénéficiaire des services produits par la société. L’identité du sociétaire qui tout en participant à la constitution du capital souscrit un engagement d’activité est alors multiple, puisqu’il est coup sur coup client, fournisseur, et salarié. Cette triple identité a donc une forte influence sur les modes relationnels. Les déclinaisons de ce principe dans les règles de fonctionnement sont nombreuses précise Jeantet, op. Cit. p. 51. De même, la répartition des excédents se fait en fonction du travail fourni.
Quant à la représentation, et là intervient le second principe : la gestion démocratique, la loi de 1947 précise que « les associés d’une coopérative disposent de droits égaux dans sa gestion et il ne peut être établi entre eux de discrimination suivant la date de leur adhésion ». C’est la règle d’un homme, une voix. Ainsi la représentation ne dépend pas du nombre de part détenu.
Mais il apparaît que dans certains cas, les coopérateurs soient autorisés à attirer des investisseurs, en effet, un bricolage règlementaire consiste dans le fait de pouvoir ouvrir la coopérative à des coopérateurs non associés ou des associés non coopérateurs (dans la limite de 35% des parts). En outre, certains aménagements permettraient d’assurer un apport supplémentaire en capitaux[3].
[1] Déjà en 1946, Emelianoff (Cf. Emelianoff, I.V., Economic, Theory of Co-operation, Washington, 1942, pp. 1-15.) trouvait près de 23 définitions différentes de la coopérative décrite sous 46 traits distincts. Chacun de ces traits distincts renvoie à la fois à une praxis, une idéologie mais aussi à une forme organisationnelle propre. Pour pallier à cette non-visibilité, l’OIT en 1966, recommandait la définition suivante : Une coopérative est une association de personnes qui se sont volontairement groupées pour atteindre un but économique commun par la constitution d’une entreprise dirigée démocratiquement, en fournissant une quote-part équitable du capital nécessaire et en acceptant une juste participation aux risques et fruits de cette entreprise
[2] Les statuts des trois dernières coopératives citées sont règlementés par la loi n°83-657 du 20juillet 1983. de même, depuis le 17juillet 2001 et la loi n°2001-624, les Sociétés coopératives d’intérêt collectif sont des SA ou SARL à capital variable régi. En somme, les coopératives sont règlementées par le Code du commerce, exceptées les coopératives agricoles qui ne sont des sociétés civiles, ni des sociétés commerciales, mais des sociétés de personnes à capital variable. (la coopérative agricole dépend d’un statut sui generis prévu par la loi du 27juin 1972).
[3]La loi du 13juillet 1992 permet de créer des parts à intérêt prioritaire sans droit de vote. Par contre, ces capitaux permettent un certain nombre d’avantages qui sont déterminés dans les statuts, et ce dans le respect des principes coopératifs.
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