L’économie sociale est une écologie, son histoire est celle des utopies et des hommes

En parcourant l’histoire de l’économie sociale, il apparaît que les structures économiques se sont développées, selon des logiques et des rationalités propres aux contextes sociaux et économiques. Il est donc nécessaire de comprendre le caractère à la fois innovant et flexible qui fonde les besoins et les nécessités socioéconomiques.
« Notre histoire » de l’économie sociale n’est pas foncièrement différente de celle d’autres auteurs[1]. D’ailleurs, il s’agit plus d’une petite histoire, car l’évolution historique de ce champ de l’économie mérite plus qu’un chapitre.
Commençons par le début : l’économie vient du grec {oikos = maison} et {nomos=gérer, administrer}. En remontant aux sources |idéo|logiques de l’économie sociale, il faut pouvoir comprendre comment sont gérés et administrés les biens des individus. Plus encore, notre économie sociale est une écologie. C'est-à-dire que, bien plus que d’étudier la gestion des biens, analyse récurrente, il s’agit de comprendre les relations des êtres-vivants (ou unités économiques) les uns avec les autres dans leur monde environnant[2]. Une économie sociale qui est une écologie a tout son sens, car cette approche permet aussi de voir les préoccupations environnementales liées aux évolutions sociales et politiques (et non plus climatiques, quoi que le développement durable veuille définitivement réconcilier économie et écologie), mais aussi à la dégradation du cadre de vie locale…qu’elles soient dues à de multiples raisons, dont l’activité humaine. D’ores et déjà, nous posons ici les bases d’une économie qui voudrait, idéalement, rompre avec un modèle existant ; une mutation, une adaptation d’un ensemble d’êtres [vivants ou] économiques face à la dégradation et aux changements d’un environnement.
Deux concepts introduisent notre « petite histoire » : utopie et modernité. Nous posons la question de l’innovation de l’économie sociale à travers l’Histoire. Il ne s’agit pas simplement de décrire la place qu’elle a dans la pensée économique. Au-delà de ça, nous peignons à grands traits, une économie par le prisme du changement et du mouvement (social). L’économie que nous définissons doit être [com]prise comme un intérêt citoyen et moral, mais aussi comme une réponse à des problématiques économiques, sociales, politiques contemporaines. La prise en charge de ces problématiques se construit comme une mécanique des relations sociales[3]. En l’occurrence, l’économie telle que nous la concevons conduit forcément à une structuration des relations et à des schémas de sociabilité.
Le Dictionnaire de l’autre économie[4] définit l’utopie comme « le désir d’altérité, la recherche de l’émancipation sociale, la conquête de la liberté. […] une constellation de sens et de projets. Elle est vision critique du présent et proposition pour le transformer positivement »[5].
Ainsi, l’Utopie a la double fonction de proposer une rupture radicale avec un système existant, et de proposer un modèle de société idéale. Or, ce n’est pas un simple progrès qui intéresse les Utopistes mais une rupture nette et un saut qualitatif radical. L'utopie veut s'inscrire sur du long terme, voire du très long terme En d’autres termes, tout mouvement qui se construit autour d’une vision utopique, ne tiendrait aucunement compte des effets positifs apportés par le modèle existant. Cependant, nous pensons que l’économie ne cesse d’être améliorée, renouvelée ou modernisée, mais ce en fonction des modèles précédents. Il ne peut y avoir rupture. En cela, il y a alors complémentarité, alternative et juxtaposition des modèles économiques.
Quant à la modernité, une définition nous vient de Michel Freitag. Il s’agit alors d’« un mode de reproduction de la société basée sur la dimension politique et institutionnelle de ses mécanismes de régulation par opposition à la tradition dont le mode de reproduction d’ensemble, et le sens des actions qui y sont accomplies est régulé par des dimensions culturelles et symboliques particulières. La modernité est un changement ontologique du mode de régulation de la reproduction sociale basé sur une transformation du sens temporel de la légitimité. L’avenir dans la modernité remplace le passé et rationalise le jugement de l’action associée aux hommes. La modernité est la possibilité politique réflexive de changer les règles du jeu de la vie sociale. La modernité est aussi l’ensemble des conditions historiques matérielles qui permettent de penser l’émancipation vis-à-vis des traditions, des doctrines ou des idéologies données et non problématisées par une culture traditionnelle ».
La modernité est alors présentée comme un mécanisme de régulation de la reproduction sociale basée sur une transformation de la légitimité. Or, cette légitimité est sans cesse remise en cause scientifiquement, politiquement, économiquement ou socialement. La modernité est dite en opposition à un modèle dominant (traditionnel). Mais qu’est ce que le modèle traditionnel ? Admettons simplement qu’elle [la modernité] permet un renouvellement des rationalités et des règles du jeu de la vie sociale ; et ce, dans des conditions données. Ainsi, il consiste à inscrire les acteurs de l’économie sociale dans un mouvement dont on ne peut déterminer l’issu. Un mouvement sans fin, qu’il nous paraît inutile de figer par des concepts sans cesse renouvelés. En l’occurrence, en abordant notre objet, nous admettons d’entrée, qu’il est impossible de déterminer un modèle unique. Et si, l’autre économie est traversée de modernité et d’utopie, alors posons l’hypothèse que les relations professionnelles et sociales se sont construites au sein des structures de cette autre économie comme un levier d’accompagnement et de régulation face aux changements économiques.




[1] Nombreux sont en France, déjà, les auteurs qui ont communiqué autour de l’évolution historique de l’Economique sociale. La RECMA, par exemple, est en France une source essentielle dans ce domaine. De même qu’il faut se fier aux travaux d’ARCHAMBAULT, DEFOURNY, DEMOUSTIER, GUESLIN, JEANTET, MONZON, etc.
[2] Cette première définition de l’écologie naît sous la plume de Ernst HAECKEL, biologiste et philosophe allemand, en 1866.
[3] FRETEL, PETIT, THEVENOT dans  la protection des salariés à l’épreuve de l’éclatement des collectifs, Cahiers de MSE, 2005.15, 27p. rappelaient, par exemple, que la protection sociale était un levier de gestion de la main d’œuvre. La protection sociale (professionnelle) des individus est aujourd’hui une considération des branches. D’ailleurs, les auteurs reprenait CASTEL (2003, p. 37), « l’acquisition des protections sociales s’est faite essentiellement à partir de l’inscription des individus dans des collectifs protecteurs ».
[4] Jean-Louis LAVILLE, Antonio David CATTANI (s. dir.), Dictionnaire de l’autre économie, Gallimard, Folio Actuel, Ed. Desclée de Brouwer,St Amand, 2006, 720p.
[5] J-L LAVILLE, A D CATTANI, Dictionnaire de l’autre économie, p.652

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire